Ne vous résignez jamais! de Gisèle Halimi

Ne vous résignez jamais! de Gisèle Halimi

Livre édité chez Plon en Mars 2010

Gisèle Halimi, militante féministe et politique française d’origine tunisienne. Fondatrice et présidente de l’Association Choisir, avocate au bureau de Paris. C’est elle qui a organisé le procès de Bobigny. Puis en 1979 et en 1983, elle défend la « Clause de l’Européenne la plus favorisée ». NDLR: Ne sont pas mentionnés tous les sujets sur la violence du couple, la prostitution, le viol et l’homosexualité de ce livre.

p. 22. J’ai déjà raconté comment mon père Edouard, dissimula ma naissance pendant trois semaines. Le temps de se faire à la malédiction absolue qui le frappait : être le père d’une fille ! Servir les hommes de la maison, comprendre notre inessentialité par rapport à eux… ; mon féminisme est né d’une révolte violente.

p. 26 ….Pour Affirmer parce que je le vivais que la condition masculine et la condition féminine était purement culturelle.

p. 60 Alexandra Kolontaï, responsable du secteur femmes dans le parti bolchevik, fit preuve d’une grand audace au congrès de Bâle en 1910. Elle proposa de lier lutte des classes et lutte féministe dans l’interdépendance. Mais c’est Flora Tristan, qui en 1843, c’est-à-dire bien avant la publication du Capital de Marx en 1867, avait trouvé les mots pour dire le mal absolu : « la femme est la prolétaire du prolétaire ».

p. 63 : la première révélation, celle-ci fulgurante car dans ma chair, de ma sujétion de femme me vint du corps.

Je pris conscience à dix-huit ans que mon corps n’était pas le mien mais l’objet inconditionnel de lois, d’oukases religieux, de règles de bienséance sociale. Leurs auteurs : les hommes.

Après avoir subi l’horreur d’avortements clandestins, et théorisé quelque peu, je connus ensuite ce que j’appelai alors la joie de la maternité choisie. Aujourd’hui, je ne dirais ni n’écrirais, sur ce thème,  les mêmes propos lyriques. Le piège existe, meurtrier, pour le libre arbitre des femmes.

p. 70. Après une conversation avec Merleau-Ponty sur la définition du corps :  » on connait sa thèse phénoménologique : le corps n’est pas chose mais sujet. Aussi identifié, le corps ne se différencie pas de la personne. » Je me souviens aussi que je m’étais dit, en l’écoutant, que ce grand philosophe développait un propos essentiellement masculin. Si l’homme est son corps, la femme, coupée d’avec lui, se dédouble. Je me taisais quand il me décrivait ce corps comme « une généralité », un « projet »de tout l’être. Il utilisait les notions d’esquisse, de dessin/dessein provisoire… pourtant, la société refusait aux femmes tout pouvoir sur son corps. La grossesse occupait  biologiquement le corps et hégémoniquement leur vie mais le choix leur en était dénié. … par la revendication (fondamentale) du droit à l’avortement je m’engageai dans le combat féministe…. En partant des épreuves subies, je fis le lien entre le combat féministe et le clivage socio-économique de notre société.

p. 74 Concrètement et compte tenu de la généralisation des moyens contraceptifs, l’avortement devrait être une pratique extrême, presque exceptionnelle. …. En multipliant les avortements au lieu de les prévenir, ces femmes signifient à la fois leur immaturité mais aussi qu’elles mesurent mal l’importance d’un acquis fondamental de nos luttes : le droit de choisir, donner ou non la vie…. Je veux rappeler ce que cette extraordinaire conquête-iceberg a apporté aux femmes : d’abord à leur sexualité. Elles ont pris goût au plaisir physique, enfin dissocié de la procréation. Elles peuvent mener une carrière et construire leur indépendance économique. Programmer leurs études, leur avancée dans le travail, le nombre de leurs enfants, et le moment des naissances. Et aussi, exister, en femmes, individus à part entière, refusant de procréer, si elles le décident. Enfin, nul ne contestera le changement relationnel du couple, advenu dans l’égalité du plaisir. Ni la possibilité nouvelle de choisir « sa » famille (nombre d’enfants, naissances planifiées…)

p. 81 : questions à l’état brut : un enfant. Pourquoi ? Pour qui ? Continuer le monde ? Sauver l’humanité souffrante ? Se continuer soi-même ? … Elles ne choisissent pas, elles suivent. Et intériorisant ce « destin » commun, elles finissent par se croire habitées par un « instinct » – on le leur a tellement expliqué- qui fera loi : l’instinct maternel.

p. 83

Il me faut promettre
Et donner la vie
Que pour la perpétuer
Comme on perpétue une rose
En l’entourant de mains heureuses.
Paul Eluard

 

J’avais retenu ce poème car l’exigence de l’engagement m’a toujours paru d’une aveuglante vérité. Nous sommes responsables de la vie que nous donnons.

p. 91. J’avais vaguement ressenti que donner la vie (et donc la mort) impliquait une sorte d’obligation de résultat. Accompagner, assister le plus loin et le plus longtemps possible la progéniture que nous avons décidé d’offrir à l’humanité. Obligation de résultat, lourde de signification pour les parents comme pour l’enfant. … Elever un enfant exige un énorme investissement d’heures, de jours, de nuits. … si notre liberté s’accomplit en actes, et fait notre existence, pouvons-nous continuer de nous dire totalement libres de choisir notre avenir ?… celles qui se laissent embarquer dans les gros bataillons du travail à temps partiel (83% des travailleurs à temps partiel sont des femmes) qui leur permettra – on le leur a tellement promis – de « concilier » vie familiale et vie professionnelle.

p. 94. L’oubli de sa propre vie lui fabrique une sorte de logique vertueuse. Plutôt que de reconnaitre qu’elle avait opté pour un substitut qui la dispenserait de construire sa propre liberté, elle joue sur la contrainte qu’elle s’est imposée. ..Refuser la maternité comme seul horizon, c’est déjà s’engager dans une démarche de liberté.

p. 142 L’homme qui reconnait et accepte dans la femme qu’il aime, sa volonté d’être à égalité, sujet du couple, doit le vivre comme l’union de deux libertés.

p. 152 Les tâches ataviques de la ménagère, la maternité, l’organisation même de la famille, infériorisent le travail féminin. [i][…] J’ai rédigé alors que j’étais députée, une proposition de loi sur le congé parental.[ii]… et pour ne pas effectuer le calcul sur la base du salaire de la mère – toujours inférieur à celui du père- j’avais proposé de le faire sur la moyenne des deux salaires. Le père et la mère devaient, en outre, partager à temps égal ce congé. Si l’alternance père/mère ne jouait pas rigoureusement, le bénéfice de l’indemnité était perdu.

p. 236 L’idée de la Clause de l’Européenne la plus favorisée – simple- consiste à « visiter » dans les 27 pays membres les lois concernant spécifiquement les femmes, et, pour cela, délimiter les domaines de nos recherches, au nombre de cinq, qui couvrent pratiquement la vie d’une femme. Dans ses choix privés (procréation, famille), son travail (formation, rémunération, carrière, retraite), sa participation au pouvoir politique (parité). Y ajouter – hélas- le chapitre dramatique de la violence subie sous toutes ses formes (femmes battues, femmes violées, femmes prostituées).


[i] Le taux d’activité décroit chez les femmes avec la venue d’enfants au foyer : 80% au premier, 60% au second, et 37% à partir du troisième. Charte de la parentalité en entreprise, signée le 11 avril 2008 (source : le monde)
[ii] Proposition de loi n°2298 enregistrée le 13 juillet 1983.