Paru chez Flammarion en 2010
Élisabeth Badinter est philosophe, féministe et femme d’affaires française, née Bleustein-Blanchet, en 1944. Elle est actionnaire et présidente du conseil de surveillance du groupe Publicis, créé par son père.
Elle soutient la Maternité pour Autrui et se positionne contre la Parité, les femmes ne parvenant pas par elle-même aux postes de direction.
Introduction
Page 9 – A la fin des années 70, dotés des moyens de maîtriser leur reproduction, les femmes aspirent à la conquête de leurs droits essentiels, la liberté, l’égalité (avec les hommes), qu’elles pensent pouvoir concilier avec la maternité. Cette dernière n’est plus l’alpha et l’oméga de la vie féminine. […]Elles peuvent donner la priorité à leurs ambitions personnelles, jouir de leur célibat et d’une vie de couple sans enfant ou bien satisfaire leur désir de maternité avec ou sans activité professionnelle. […] l’individualisme et l’hédonisme propres à notre culture sont devenus les premiers motifs de notre reproduction mais parfois aussi son refus.
Page 12 – Jusqu’à hier, les univers masculins et féminins nourrissaient le sentiment ‘identité spécifique à chaque sexe. […] si la maternité est l’apanage de la femme, est-il concevable de se tenir à une définition égative de l’homme : celui que ne porte pas d’enfant ? […] la mère est-elle celle qui donne l’ovocyte , elle qui porte l’enfant ou celle qui l’élève ? e dans ce cas, que reste-t-il des différences essentielles entre paternité et maternité ?
Page 13- Comme Rousseau en son temps, on veut aujourd’hui renouer avec la nature et de revenir aux fondamentaux dont l’instinct paternel est le pilier. Mais à la différence du XVIIIème siècle elles ont aujourd’hui trois possibilités : adhérer, refuser ou négocier, selon qu’elles privilégient leurs intérêts personnels ou leur fonction maternelle. Plus cette dernière est intense, voire exclusive, plus elle a de chance d’entrer en conflit avec d’autres revendications et plus la négociation entre la femme et la mère est rendue difficile.
La sainte alliance des « réactionnaires »
Page 81 – « Une fois l’allaitement commencé, le terme d’esclavage décrit parfaitement l’enchaînement de la suite des évènements. La mère est endocrinologiquement, sensuellement, et neurologiquement transformée. […] c’est le travail de l’enfant, pas ses grognements et ses gazouillements, son toucher et son odeur de tirer un maximum du système de récompense de Mère Nature, qui conditionne une femme à faire de son enfant sa première priorité. » [1]
L’impérium du bébé
Page 145 – Ironie de l’histoire : c’est au moment où les femmes occidentales parviennent enfin à se débarrasser du patriarcat qu’elles retrouvent un nouveau maître à la maison ! […] Régression consentie au nom de l’amour que l’on porte à son enfant, du rêve de l’enfant parfait et d’un choix moralement supérieur. Autant de facteurs bien plus efficients que les contraintes extérieures. Chacune le sait : rien ne vaut la servitude volontaire ! Dans ce bouleversement du modèle maternel, les hommes n’ont pas eu à bouger le petit doigt. C’est l’innocent bébé – bien malgré lui – qui est devenu le meilleur allié de la domination masculine.
Page 160 – Le « Moi d’abord » de la génération des mères a peu à peu laissé place à « l’enfant d’abord » proclamé par les filles. […] Echec des mères que les filles ne veulent pas imiter et que l’on peut résumer ainsi : vous avez tout sacrifié pour votre indépendance et au lieu de cela, vous assumez la double journée de travail, vous êtes sous-estimées professionnellement et au bout du compte vous êtes perdantes sur tous les fronts. Au-delà de cette critique, c’est l’étiquette « féministe » qui fut rejetée.
Page 167 – Les plus machistes des hommes peuvent se réjouir : la fin de leur domination n’est pas pour demain. Ils ont gagné leur guerre souterraine sans prendre les armes, sans même dire un mot. Les tenants du maternalisme s’en sont chargés.
La diversité des aspirations féminines
Page 183 – Plus pragmatiques et individualistes, les nombreuses anglophones qu i se sont exprimées sur ce sujet en appellent volontiers à leur épanouissement personnel. […] Perte de leur liberté de mouvement, de leur énergie, de leur argent, de leur plaisir, de leur intimité et même de leur identité. L’enfant est synonyme de sacrifices, d’obligations frustrantes voire repoussantes et peut-être de menace pour la stabilité et le bonheur du couple.[2] Ces femmes avortent si elles tombent enceintes et peuvent demander à être stérilisées.[3] Elles sont appelées les « childfree », libérées d’enfant et donc de la maternité.
La grève des ventres
Page 195 – Aux Etats-Unis où le taux de fertilité se maintient à un haut niveau, on estime que 18 à 20% les des femmes resteront childless soit deux fois plus qu’il y a trente ans. [4]
Page 196- Même si le refus d’enfant est le fait d’une minorité, la vraie révolution est là, qui appelle à une redéfinition de l’identité féminine.
Page 219 – Elle fait même observer que le pourcentage de femmes volontairement childfree est directement lié à ses diplômes et titres universitaires. Plus ceux-ci sont importants, plus leur travail est intéressant et plus elles font le choix de rester sans enfant. [5] […]Si cette tendance se confirmait verra-t-on un jour la maternité à la charge ou l’apanage des moins favorisées culturellement, socialement et professionnellement ?
Page 227 – En revanche, même si la proportion de femmes childless devait rester ce qu’elle est aujourd’hui, nous ne pourrions échapper à la nécessité de rompre avec la définition traditionnelle de la féminité. […] Qu’on le veuille ou non, la maternité n’est plus qu’un aspect important de l’identité féminine et non plus le facteur nécessaire à l’acquisition du sentiment de plénitude du soi féminin. Grâce ou à cause de la contraception, le monde des femmes se scinde et se diversifie. Ne pas vouloir en prendre acte relève de la cécité.
Le cas des françaises
Page 253 – En vérité le naturalisme n’a pas de pire ennemi que l’individualisme hédoniste. A part celles qui trouvent leur plein épanouissement dans la maternité prônée par le premier, toutes les autres feront de plus en plus un jour ou l’autre le calcul des plaisirs et des peines. D’un côté, une expérience irremplaçable, l’amour donné et rendu, l’importance de la transmission et de la continuité de la vie, de l’autre, les frustrations et le stress quotidien, le sacrifice de soi et les conflits inévitables et parfois le sentiment de l’échec avec la culpabilité qui en découle. Les vieux parents abandonnés par leurs enfants ne sont pas un épiphénomène. Contrairement à ce qu’on l’on veut nous faire croire, l’amour ne va jamais de soi, même celui de la mère à l’égard des enfants, lesquels, devenus adultes n’ont rien à rendre à leurs parents déficients. En effet, on ne peut donner que ce que l’on a reçu.
[1] Sarah Hardy Les instincts maternels p 605 à 608
[2] Rosemary Gillepsie Childfree and Feminine Understanding the Gender Identity of Voluntarily Childfree Women. Gender and Society, vol.17 février 2003 p.122 à 136
[3] Annily Campbell, Chilfree and Sterilized, London 1999
[4] US census 2006 publié en 2008
[5] Elinor Brukett the Baby Boom 2000, p.182